Les nouvelles dimensions de Breitling

Georges Kern le sait bien. Le décalage horaire est plus facile à gérer en se déplaçant d'est en ouest et c'est la recette qu'il applique pour l'organisation du roadshow #legendaryfuture qui a pour but de dévoiler bien plus qu'une collection de montres mais bien la nouvelle impulsion dynamique de Breitling. Après Shanghai, le roadshow faisait étape à la maison,  au sein du Hallenstadion de Zurich pour accueillir plus de 600 invités composés de stars, d'ambassadeurs et d'influenceurs en tout genre. Vous allez me dire: nous y voilà, Georges Kern reprend les mêmes recettes que celles appliquées avec IWC et la soirée va ressembler à une nième séance de tapis rouge dont les photos illustreront les magazines people du monde entier. Mais il est bien trop malin pour tomber dans un tel piège. Breitling a aujourd'hui besoin d'autre chose et doit retrouver au contraire de la substance. Au bout du compte, les invités les plus importants de la soirée étaient bien les détaillants de la marque et quelques personnes clé assurant le lien avec le passé de la marque comme le petit fils de Willy Breitling ou le collectionneur Fred Mandelbraun. Le passé de la marque, ce n'est pas celui des dernières années. Non, le passé dont je parle est celui des décennies qui ont fait de Breitling une des marques de référence du chronographe et qui incarnait en même temps une certaine idée de style et d'élégance.

Plus de 600 invités assistèrent au roadshow de Zurich:


Une soirée dynamique et efficace avec des messages sans ambiguïté

Georges Kern sait pertinemment qu'il est attendu au tournant et que de nombreuses personnes, dont moi, peuvent lui reprocher d'incarner une vision stratégique purement mercantile et d'être très attiré par la lumière comme le prouvent ses innombrables événements en compagnie de stars du cinéma. Alors, il tua ces reproches en deux temps, trois mouvements, clouant ainsi le bec à ses détracteurs les plus zélés.

La marque a eu des clients célèbres et pas que des acrobates du ciel... Breitling l'a constamment rappelé lors de la soirée:


Il faut tout de même du culot pour oser projeter des photos presque caricaturales de son passé (pas si lointain), pour expliquer que cette période est révolue. Le message est clair: je suis ici pour travailler, pour développer la marque et sûrement pas pour assurer mon auto-promotion. Certes, mais encore faut-il être respectueux de l'héritage de la marque, de sentir la passion et pas uniquement les tableaux de bord financiers en arrière-plan. Et c'est là où il abat sa deuxième carte: Fred Mandelbraun qui monte sur scène et présente les montres clé qui ont contribué au succès de Breitling. Vous voyez, moi (par opposition à mes prédécesseurs), j'ose appeler un collectionneur comme Fred, j'ose échanger avec lui, j'ose lui laisser la parole.

Georges Kern avec des stars? Oui mais ça, c'était avant.


De l'opportunisme? Peut-être. Mais c'est bigrement efficace et inattaquable. Que pouvais-je reprocher à l'issue de ces interventions? Rien. Les critiques qui pouvaient être formulées a priori ont été balayées et il ne restait plus qu'à se concentrer sur l'essentiel: le dynamisme et les orientations stratégiques.

Le dynamisme est facilement palpable. En très peu de temps, Georges Kern a bâti une équipe de qualité composée de personnalités connues et reconnues de la profession (Tim Sayler en provenance d'Audemars Piguet pour prendre la responsabilité du Marketing, Guy Bove, en provenance de Ferdinand Berthoud et ancien d'IWC pour le design, Louis Westphalen en provenance d'Hodinkee pour le digital et j'en passe). En quelques mois, Breitling est capable de présenter une nouvelle collection. En quelques mois, Breitling est capable de présenter une nouvelle campagne de communication qui balayera tous les aspects y compris celui de l'architecture des boutiques. En quelques mois, Breitling est redevenu un acteur central car suscitant de l'intérêt, de la curiosité voire de l'excitation. Le rythme de la soirée fut à cette image: pas de temps mort, pas de pause, le dîner assis fut de courte durée pour que les convives puissent se retrouver et échanger dans une salle dédiée aux expositions de montres vintage et de la nouvelle collection. De l'efficacité encore et toujours. Et le lien constant entre passé et présent pour donner de la légitimité aux actions actuelles.

Une exposition était dédiée aux montres vintage pendant la soirée. Le lien entre passé et présent était permanent:


Les orientations stratégiques sont aussi facilement lisibles et tout fut résumé dès le début du dîner. Georges Kern fut accompagné tout le long de la soirée par deux comparses. D'un côté, Nick Foulkes le parfait ambassadeur du dandysme qui, en tant que Monsieur Loyal, apportait sa caution sur le retour de Breitling vers une dimension plus élégante. Et de l'autre, l'acteur anglais Richard E. Grant qui après un échange avec Georges Kern qui donnait l'impression que ce dernier parlait avec Dieu, apparut sur scène tel un ange avec une seule aile.

Richard E. Grant a perdu une aile mais le logo en a perdu deux! Breitling reste impliqué fortement dans l'aviation mais pas exclusivement:


Tout un symbole: le logo perd ses deux ailes... et l'ange en perd une. Et c'est toute la portée du message: non, Breitling ne sort pas de l'aviation. Mais Breitling n'est pas lié qu'à l'aviation. Ce sera d'ailleurs un des axes stratégiques clé présentés le lendemain lors de la conférence de presse. Lorsque les convives quittèrent le Hallenstadion, un consensus général régnait: les choses changent chez Breitling et elles changent vite.

Certains éléments du décor préfiguraient l'intérieur des futures boutiques:


La conférence de presse du lendemain: un retour aux fondamentaux

La soirée avait beau être réussie, c'était surtout la conférence de presse et les ateliers du lendemain que j'attendais le plus: l'occasion de mieux comprendre les orientations stratégiques et de découvrir dans de meilleurs conditions la collection Navitimer 8.

Un film projeté au début de la conférence de presse résuma tout: la fureur des jets, c'est terminé. Breitling n'abandonne pas les airs mais  investit aussi la terre et la mer.  Breitling doit faire l'objet d'une transition sans perdre ce qui fait sa force. Le problème des dernières années est que la marque, malgré sa renommée et la qualité des pièces donnait l'impression de s'être enfermé dans une sorte de segment restreint, celui d'un spécialiste des chronographes et des instruments de précision ultra techniques remplissant des objectifs précis dans un contexte quasi exclusivement aérien. La communication contribuait à cette impression d'enfermement: j'avais parfois l'impression que le compte Instagram de Breitling était celui d'un organisateur de meetings aériens. Et pourtant le plus grand succès commercial de Breitling au cours des derniers mois est la ligne SuperOcean Heritage. La marque n'allait pas si mal. De l'optimisation et de la rationalisation étaient certes nécessaire. Mais son plus grand problème était la réduction constante de sa base de clientèle potentielle dans un contexte concurrentiel exacerbé.

Georges Kern délivra un message très clair:


L'autre problème que subissait la marque était la confusion qui régnait dans son catalogue (due à sa structure et au nombre de références) et on connaît tous le problème: trop de choix tue le choix.

Enfin, la marque avait abandonné des domaines dans lesquels elle était très présente par le passé: celui de l'élégance informelle, celui des montres féminines, celui de la montre simple.

Les orientations stratégiques présentées par Georges Kern peuvent se résumer ainsi: la marque doit redevenir plus simple, plus lisible et plus accueillante. Accueillante est la traduction que je fais du terme "inclusive" employé par Georges Kern. Cette notion d'"inclusive" vise à la sortir du segment restreint dans lequel elle se trouve et cela passe par de nombreuses actions:
- un unique logo va être utilisé, le B sans aile pour rappeler que Breitling n'est pas qu'une marque d'aviation. Et bien entendu, il n'y aura aucune cohabitation avec d'autres logos.
- le catalogue va être structuré en 4 familles de produits (Air - Navitimer / Mer - SuperOcean / Terre - Premier / Homogène - Chronomat) et chaque famille renfermera 3 atmosphères: élégance, sport chic, supersport.
- la marque opérera donc un retour vers plus d'élégance, de raffinement, s'adressera plus à l'attention des femmes tout en injectant une touche de rétro dans le design.
- des tailles plus "civilisées" seront disponibles. Georges Kern se présente d'ailleurs comme le testeur en chef des prototypes. Compte tenu de la taille modeste de son poignet, si la montre ne lui convient pas, elle est éliminée. Ce qui explique d'ailleurs les cornes réduites de la collection Navitimer 8. La montre doit rester portable même si le diamètre reste significatif.
- des rééditions seront présentées avec des tailles identiques à celles des montres d'origine. Des montres à remontage manuel et sans date seront produites afin de répondre à l'attente d'une clientèle de connaisseurs.
- Breitling n'a pas vocation à sortir de sa gamme de prix habituelle. Cependant, des initiatives qui font perdre de la valeur ou hors de propos (des prix d'accès avec des mouvements quartz par exemple) sont stoppées. De même la vocation de Breitling n'est pas de proposer des tourbillons et des montres compliquées de haute horlogerie. Dans une structure de prix cohérente et stable, Breitling va oeuvrer à élargir son offre tout en diminuant ses références.
- la structure de l'offre de mouvements sera homogène quelque soit la famille de produits: des mouvements ETA/Sellita seront utilisés pour des montres 3 aiguilles d'un diamètre de 39/42mm et d'un prix moyen de 3.600 CHF, le mouvement B20 (Tudor) animera des montres 3 aiguilles de 42mm d'un prix moyen de 4.000 CHF, les mouvements chronographe externes (type Valjoux) seront dédiés aux montres d'un diamètre 42/46mm, d'un prix moyen de 5.500 CHF et enfin le calibre chronographe maison de type B01 sera consacré aux montres d'un diamètre de 42/46mm, d'un prix moyen de 7.500 CHF.
- les finitions et détails esthétiques permettront de reconnaître facilement une montre de manufacture des autres. Seules les montres de manufacture auront une finition polie/brossée plus raffinée, le contraste au niveau des compteurs et la présentation en 3-6-9. Les chronographes à mouvement externe auront une finition satinée plus sportive et un cadran sans contraste fort.
- Breitling doit élargir sa couverture géographique: la marque est aujourd'hui très performante aux Etats-Unis, au Japon, en Allemagne ou au Royaume-Uni (je rajouterais qu'elle fonctionne bien aussi en France) mais elle demeure faible sur d'autres marchés comme la Chine où une croissance à deux chiffres est attendue. C'est au bout du compte une bonne nouvelle car donnant du potentiel. Ce n'est pas un hasard si la nouvelle collection s'appelle Navitimer 8, si le premier roadshow s'est déroulé à Shanghai et s'il a été suivi d'une interview de Georges Kern sur Bloomberg Asia.
- Une nouvelle campagne de communication va être lancée aux alentours de Baselworld réaffirmant ces orientations. Elle sera accompagnée d'une nouvelle approche architecturale des boutiques et des points de vente en adoptant un design industriel en phase de test actuellement à la boutique de Zermatt. Georges Kern l'a rappelé: Breitling n'est pas une marque de bandes dessinées mais doit pouvoir accueillir en ses boutiques une clientèle de tout type et plus féminine. Les bimbos et pin-ups chevauchant les missiles ne sont plus conformes à l'image que la marque veut refléter.

Fred Mandelbraun à la manoeuvre:


Et il n'était pas venu les mains vides:


La démonstration de Georges Kern fut donc très limpide. Il n'y eut rien de vraiment surprenant ni d'innovant en matière de messages ou de concepts. En revanche, la feuille de route est  claire et les actions tendent toutes vers le même objectif: refaire de Breitling une marque plus globale tant du point de vue géographique que de celui des segments de clientèle. Breitling réduit le nombre de références (de plus de 600 à 120) mais élargit sa gamme. La marque doit devenir plus facile à comprendre, plus facile à aborder et au final être plus accueillante pour trouver de nouveaux relais de croissance... sans décevoir la clientèle actuelle. Et c'est dans ce contexte stratégique que fut dévoilé la  collection Navitimer 8 qui ne sera pas, loin de là, la seule nouveauté de l'année. Baselworld approche et le Salon réservera des surprises et des évolutions.

La collection Navitimer 8, la première étape de la nouvelle stratégie de la marque

Il faut commencer la présentation de cette collection par un rappel d'importance. Navitimer n'est dorénavant plus le nom d'une montre mais bien celui d'une famille de produits, celle dédiées aux montres ayant un lien avec l'aviation. Alors, même si on peut discuter pendant des heures sur l'absence de la règle de calcul, pour Georges Kern, la situation est simple: ce genre de discussion n'intéresse que 1% des clients potentiels et de toutes les façons, le nom Navitimer est tellement connu qu'il serait dommage de se priver de sa force.

La Navitimer 8 chronographe:


La collection Navitimer 8 incarne de nombreux aspects des nouvelles orientations stratégiques de la marque. D'abord, malgré la présentation d'une collection complète (5 modèles), le nombre de références reste limité à 19. Ensuite, son design moins marqué la rend plus facilement "abordable" du point de vue esthétique pour une clientèle plus large... et osons le dire, plus chinoise. Car rien n'est laissé au hasard: le chiffre 8, la présentation à Shanghai et c'est la raison pour laquelle je ressens derrière ces montres toute leur portée stratégique. 

La Navitimer 8 Automatique:


Je touche ici le problème de ces montres: elles ont le défaut de leur qualité... ou pour être plus clair: leur portée commerciale est on ne peut plus visible. Elles sont bien faites et la finition soleillée des cadrans, surtout avec celles à cadran bleu, est très agréable. Mais comme les cadrans sont plus simples, ils laissent moins de possibilités à l'expression des finitions de très haut niveau, traditionnelles chez Breitling. Je regrette l'absence d'éléments en relief et en dehors du B du logo, les cadrans me sont apparus comme trop plats.

La Navitimer 8 Chronographe B01 permet d'apprécier la finition soleillée du cadran:



C'est le souci avec les montres consensuelles. Devant plaire à de nombreux clients, elles ne peuvent séduire ceux qui recherchent de l'originalité et du caractère. Maintenant, même s'il s'agissait de prototypes (la Day Date et l'Unitime n'étaient malheureusement pas disponibles), j'ai pu apprécier le sérieux de la conception et un certain nombre de détails comme la forme de la lunette, inspirée de celle de la référence 768 qui fut créée en 1940 par département Huit Aviation de Breitling. J'ai également aimé les cornes courtes qui améliorent le confort. Les deux chronographes et l'Unitime ont un diamètre de 43mm mais leur taille perçue reste raisonnable. Un détail sera à revoir: la position du bracelet a tendance à le faire frotter contre le boîtier et une barrette plus courbée serait bienvenue. A noter également que l'ensemble de la collection sera certifiée chronomètre et que l'inscription chronomètre sera présente sur les cadrans définitifs.

La version blacksteel de la Navitimer 8 Automatique est la plus intéressante:


Les différences entre les deux chronographes sont manifestes. Le diamètre est le même mais ce ne sont pas les mêmes montres. L'un utilise le calibre de manufacture B01, offre l'organisation de cadran en 3-6-9, des compteurs en contraste, un fond transparent et des finitions plus raffinées. L'autre, animé par un calibre Valjoux est plus brut et devient trop "mastoc" du fait de son rendu uniforme. C'est peut-être là où veut en venir Breitling: l'écart de prix est certes conséquent mais le client n'a-t-il pas intérêt à mettre plus et à clairement basculer sur la montre la plus intéressante?

La comparaison entre les deux chronographes:


L'Unitime sera animée par le calibre de manufacture B35 et elle s'annonce au bout du compte comme peut-être la plus intéressante de la collection. Je trouve la date mieux intégrée, la complication apporte du caractère et elle sera finie selon les standards des montres à calibre maison. J'ai donc regretté son absence lors de la présentation. 

Bracelets cuirs et bracelets métal seront disponibles:



La Day-Date ne m'emballe pas mais elle s'adressera avant tout à l'Asie dont une clientèle est très friande de ce type de complication.

Enfin, la Navitimer 8 Automatic utilisera un calibre Sellita logé dans un boîtier de 41mm. La version la plus intéressante, et de loin, est la Blacksteel car le noir apporte de l'originalité et réduit la perception de taille. B01, Valjoux, B35, Sellita: les Navitimer 8 utilisent donc le panel de calibres à disposition tel que présenté par Georges Kern lors de sa conférence de presse.

Le calibre de manufacture B01:




La collection est en fait passionnante à analyser lorsqu'on l'inscrit dans la démarche stratégique de Breitling. Elle l'est peut-être moins lorsque je me place de mon point de vue de client. Le résultat est trop aseptisé pour me plaire même si certaines pièces méritent le détour (Unitime - Blacksteel - B01 cadran bleu). Mais j'ai cependant la conviction qu'elle fonctionnera car Breitling se donne les moyens de réussir. Qu'importe après tout si cette collection ne me parle pas. L'ambition de Georges Kern est que Breitling se remette à parler à plus de clients. Et je pense sincèrement que certaines montres dans le futur me séduiront bien plus que celles qui furent présentées ces dernières années. C'est ce qui compte le plus pour moi. En tout cas, rendez-vous est pris à Baselworld pour découvrir la suite du déploiement de la nouvelle stratégie.

Merci à l'équipe Breitling France et à Chantal Gemayel.