Piaget: Polo S

La tendance se confirme. Les marques de Richemont profitent de plus en plus fréquemment d'événements organisés en dehors du SIHH pour dévoiler les montres clé de l'année. L'exemple est frappant avec Piaget qui, par le biais d'un lancement qui s'est déroulé à New-York en plein mois de juillet, a présenté une gamme de montres d'une grande importance stratégique pour la manufacture. Car c'est bien de cela dont il s'agit: la vocation de la gamme Polo S est de donner une impulsion dynamique à Piaget en élargissant et rajeunissant sa base de clientèle.

La Polo S Chronographe à cadran argenté:


Le rôle fondamental de la Polo S est facile à appréhender: il suffit de se rendre compte des moyens mis en oeuvre par Piaget lors du lancement. Ce sont bien 9 ambassadeurs, et pas un de moins, qui vont accompagner le destin de la Polo S. Ces 9 ambassadeurs ont été choisis avec soin: ils couvrent un spectre géographique extrêmement large et leurs sphères d'influence sont diverses et variées. Mais au-delà de la stratégie de communication et du plan marketing, il est crucial que la montre soit à la hauteur de cette ambition. En tout cas, Piaget s'est donné tous les moyens pour réussir.

Tout d'abord, une excellente nouvelle s'est produite pour Piaget. Du fait du lancement décalé et de l'actualité horlogère plutôt limitée en plein mois de juillet, tous les regards se sont concentrés sur la Polo S. Et je dois avouer que rarement une gamme de montres s'est faite autant critiquer par la blogosphère horlogère. Je considère ce déchaînement de critiques comme un très bon signe. Une montre qui connaît le succès est une montre qui avant tout suscite de l'émotion, positive ou négative. L'indifférence polie est le pire pour une nouvelle pièce. Au moins, sur ce point-là, la mission est accomplie. Je n'ai pas le souvenir d'une montre Piaget suscitant autant de commentaires.

Le mouvement chronographe 1160P:


La base des critiques est la même pour tous: le design de la montre, que ce soit dans sa version 3 aiguilles ou dans sa version chronographe est trop inspiré, trop "Genta-esque" et certains ont même vu en la Polo S une sorte de croisement improbable entre la Nautilus et l'Aquanaut. Je pense personnellement qu'il s'agit d'un mauvais procès. Il est inutile de le nier: évidemment qu'il existe des similitudes esthétiques, des tendances de style communes. Mais ces similitudes sont inhérentes à ce qu'a voulu accomplir Piaget en rendant plus décontractée et consensuelle la ligne Polo et n'ont rien à voir, selon moi, avec une histoire de forte inspiration, pour ne pas dire de plagiat de ce que propose la concurrence. D'ailleurs, en mettant les différentes versions de la Polo S au poignet, j'ai bien eu le sentiment de porter une montre Piaget et pas "un hommage" à une célèbre montre d'une autre marque dont le nom commence par la même lettre.

La Polo S à cadran argenté:


La Polo a été créée à la fin des années 70 et on oublie fréquemment l'extraordinaire richesse esthétique de cette collection. Les lignes horizontales traversant le cadran et le bracelet font partie intégrante de mon imaginaire du style Polo. Evoluant sans cesse, la Polo a incarné non pas la montre sport chic mais la montre au raffinement décontracté ce qui n'est pas la même chose. Malgré l'utilisation récente de boîtiers en titane et de bracelets en caoutchouc, la Polo a cependant toujours eu du mal à être considérée comme une montre à l'aise en toute circonstance.

C'est là où la Polo S intervient. Elle a plusieurs missions: elle doit ouvrir de nouvelles perspectives commerciales pour Piaget grâce à un prix plus attractif, un boîtier et un bracelet en acier (S signifiant Steel). Elle doit également devenir une véritable montre de complément pour la clientèle traditionnelle de Piaget en étant facile à porter y compris le week-end au cours d'activités plus sportives.

La Polo S à cadran argenté au poignet:


Le tournant esthétique est net. La Polo S, quelle que soit sa version, peut être considérée comme une montre néo-rétro mais qui n'est pas une évolution de ce que fut la collection Polo pendant près de 4 décennies. Elle est plutôt une vision actuelle de ce qu'aurait pu être la Polo en 1979 si la montre avait été plus sportive que raffinée. Le résultat est très surprenant si on se réfère aux Polo du passé. J'y vois d'ailleurs plus une inspiration de l'Emperador Coussin que de la Polo. Le style est assurément plus consensuel et plus versatile que celui plus recherché et plus affirmé des Polo récentes ou du passé.

Et si la véritable inspiration de la Polo S était l'Emperador Coussin? La ressemblance est frappante avec cette version portée en toute décontraction:


En fait, il est plus facile d'apprécier la Polo S au premier coup d'oeil et cet aspect plus lisse correspond bien à l'ambition géographiquement large de Piaget: la montre doit plaire partout et le design retranscrit cette ambition. Le revers de la médaille est que la montre ne possède plus le caractère si particulier des Polo qui en faisait des pièces à part dans le petit monde horloger. La Polo S rentre dans le rang à ce niveau et c'est dommage. C'est mon principal point de reproche: soignée mais sans aspérité, la Polo S est plus perçue comme la démonstration d'une ambition marketing globale que comme un projet esthétique audacieux mené à son terme sans contrainte. Je peux le regretter mais je dois aussi être réaliste. Le monde d'aujourd'hui est ainsi fait et on assiste à une mondialisation des goûts dont cette Polo S en est l’exemple.

Le mouvement 1110P:


S'arrêter sur cette remarque serait cependant réducteur. Car la Polo S possède des atouts certains:
  • Malgré ce virage à 180 degrés du style Polo, la Polo S demeure une véritable montre Piaget dont la signature se reconnaît dans la forme de la lunette. Je retrouve aussi les lignes horizontales de la collection Polo dans les stries du cadran et une fois mise au poignet, la Polo S dégage bien sa propre atmosphère.
  • 5 versions sont disponibles. 3 couleurs de cadran (bleu, argenté et gris) sont proposées pour la Polo S Automatique à 3 aiguilles, 2 (bleu et argenté) pour la Polo S Chronographe. Ces couleurs fonctionnent très bien avec le design de la montre et ma version préférée est la Polo S automatique 3 aiguilles à cadran gris. Cette couleur est dans ce contexte moins conventionnelle et apporte une touche particulière à la montre.
  • La qualité des finitions est tout à fait correcte notamment au niveau du boîtier et du bracelet. Elle est cohérente avec les prix proposés.
  • Les mouvements de manufacture qui équipent la gamme Polo S (le 111OP et le 1160P) ont été développés pour la gamme. Pour être plus précis, ils constituent une évolution des mouvements existants (le duo 800P et 880P) et adaptés au contexte tarifaire de la Polo S. Ils présentent une fréquence de 4hz et une réserve de marche d'une cinquantaine d'heures. Compte tenu de leurs origines, j'ai confiance sur le fait qu'ils fonctionneront avec précision et fiabilité. Leur décoration est très sobre mais soignée. La masse oscillante est malheureusement un peu triste et heureusement le mouvement chronographe est un peu rehaussé par la roue à colonne visible. A noter que le chronographe perd son traditionnel affichage du second fuseau horaire, ce qui est regrettable. Même la Gouverneur le propose tout en n'ayant que deux sous-cadrans. La Polo S privilégie un totalisateur des heures.
  • Une des forces de Piaget étant de maîtriser la finesse des mouvements, le chronographe est à peine plus épais que la montre à 3 aiguilles (11,2mm vs 9,4mm). Le boîtier étant dans les deux cas d’un diamètre de 42mm, la Polo S présente un aspect relativement élancé très agréable. Une fois le bracelet mis à la taille, les montres se révèlent être très confortables au porter. Etanches à 100 mètres et bien positionnées sur le poignet, les différentes versions de la Polo S répondent sans souci à l’ambition d’en faire des montres à l’aise en toutes circonstances. A noter que la taille perçue est inférieure à la taille réelle compte tenu de l’épaisseur de la lunette. Ce phénomène est évidemment accentué avec les cadrans bleu qui diminuent la perception de la taille.
  • Enfin, les prix se révèlent attractifs compte tenu de la grille tarifaire à laquelle Piaget nous avait habitués. La version automatique à 3 aiguilles est proposée à 10.900 euros tandis que le chronographe est vendu au prix de 14.500 euros.
La Polo S Chronographe à cadran bleu:


La Polo S est donc une gamme de montres passionnante à analyser. Elle incarne à la fois une orientation stratégique importante de la marque et un changement total de direction vis-à-vis de la collection Polo.

La Polo était pour moi une montre particulière avec une personnalité propre. La Polo S est une montre consensuelle et globale dont l’objectif est de favoriser l’expansion de Piaget sur des marchés où la marque est moins présente. Je touche là le double-paradoxe de cette montre. En devenant plus sage et en faisant disparaître les traits de caractère de la collection Polo, Piaget perd un peu de son style, de son audace et sa magie. La marque m’a toujours habitué à marier efficacement originalité et raffinement. Je ne retrouve pas cette touche unique ici. L’autre paradoxe est que les ambassadeurs ont été choisis car étant des « game changers ». Or, la montre ne donne justement pas l’impression de révolutionner le design horloger… alors que Piaget l’a fait à de très nombreuses reprises antérieurement!

La Polo S à cadran gris, ma version préférée:


C’est peut-être cela le plus décevant, ce sentiment que la montre est dictée uniquement par une stratégie marketing et non pas par une approche créative sincère. Alors, malgré ses indéniables qualités, la Polo S a de la peine à me séduire totalement. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la version qui me plaît le plus est celle à cadran gris. Lorsque Piaget sort des sentiers battus, il n’en devient que meilleur. Une leçon que la manufacture devrait méditer.

Merci à l’équipe de la boutique Piaget de la Place Vendôme.

Les plus :
+ une montre, quelle que soit sa version, confortable à porter et à l’aise en toutes circonstances
+ le sérieux et la qualité de l’exécution
+ l’épaisseur maîtrisée du boîtier du chronographe
+ le prix plus accessible pour une manufacture du niveau de Piaget

Les moins :
- un design trop consensuel qui gomme la personnalité des montres Piaget
- une montre qui finalement évoque plus l’Emperador Coussin que la Polo !
- le chronographe perd l'affichage du second fuseau habituellement proposé par Piaget (j'imagine qu'il reviendra par le biais d'une Polo S spécifique)