Czapek: Quai des Bergues

Il faut dire les choses clairement: la création d'une marque portant le nom d'un horloger du passé est un exercice difficile et généralement peu apprécié des amateurs car donnant le sentiment d'une approche opportuniste. Face à ces contraintes, le projet doit être soigneusement bâti et reposer sur un produit convaincant, séduisant et contenant suffisamment d'éléments rappelant le travail de l'horloger "ressuscité". Sinon, se pose irrémédiablement la question de sa crédibilité.

L'équipe Czapek est menée par Harry Guhl, président de la société, Xavier de Roquemaurel, son directeur général et Sébastien Follonier,  qui, en tant qu'horloger expert en montres compliquées ayant travaillé chez Greubel Forsey joue le rôle de directeur technique. Ils ont tous les trois bien conscience de ces difficultés et c'est la raison pour laquelle le projet a été mené avec beaucoup de minutie. Je le ressens à la fois dans le business plan, dans la structure de la collection et évidemment dans les premières montres proposées.


François Czapek était un horloger polonais d'origine tchèque qui émigra en Suisse en 1832. Il créa très rapidement sa première société avec un horloger suisse puis en 1839 démarra son partenariat avec Antoni Patek qui dura jusqu'en 1845 date à laquelle leurs routes se séparèrent. Pendant ces 6 années, Czapek et Patek proposèrent des montres d'exception qui permirent d'assoir leurs réputations respectives. Czapek fondit par la suite une nouvelle société qui prospéra, devenant horloger de la Cour de Napoléon III et ouvrant des boutiques à Paris, Genève et Varsovie. Il écrivit également le premier livre consacré à l'horlogerie en polonais. La date du décès de François Czapek demeure inconnue mais il est probable qu'elle se situe au moment où sa société changea de propriétaire, à la fin des années 1860.

La montre qui est la plus représentative du style de Czapek est la 3430, produite dans les années 1850. Elle se caractérise  par un style épuré, des aiguilles et des chiffres romains très fins et un cadran comportant deux sous-cadrans à 4h30 et à 7h30. Le sous-cadran de gauche correspond à celui de la trotteuse tandis que celui de droite sert, par le biais d'une unique aiguille, à afficher à la fois les jours de la semaine et la réserve de marche.


L'architecture du mouvement de cette montre historique est lui aussi caractéristique avec une certaine symétrie dans la zone supérieure due au double-barillet et un organe réglant utilisant un balancier bimétallique, un spiral Breguet et un échappement à ancre en ligne droite.

Cette montre sert ainsi d'inspiration à la première collection de la marque, celle qui symbolise son véritable point de départ avec la présentation des pré-séries au grand public: la Quai des Bergues. Cette collection peut se répartir en deux parties. D'un côté les montres en or rose ou en or gris qui se distinguent par leurs cadrans en émail avec chiffres romains et par le sous-cadran à 4h30 comportant à la fois la réserve de marche et les jours de la semaine. De l'autre, les montres en titane ou en acier XO (particulièrement résistant) proposant des cadrans en laiton recouvert d'une couche de carbone ou en argent. Le sous-cadran de réserve de marche peut être identique à celui  des montres en or ou sans indication des jour de la semaine.

Dans tous les cas, les différentes montres de la collection sont bien à l'image de la montre de poche d'origine, raffinées et élégantes malgré une taille plutôt généreuse (42,5mm). Cette taille n'est cependant pas esthétiquement gênante car le cadran est plutôt bien équilibré. Son ouverture demeure raisonnable du fait de l'épaisseur de la lunette, les chiffres romains et les aiguilles apportent leur légèreté. J'aime beaucoup la forme des aiguilles et l'organisation du cadran. Le principe du sous-cadran de réserve de marche et à jour de la semaine à aiguille unique est évidemment sympathique et crée un lien avec le passé mais il oblige à remonter la montre le premier jour de la semaine et à attendre la fin de la réserve de marche pour la remonter de nouveau... pour que le double affichage est un sens. Or pour des raisons chronométriques, j'ai toujours tendance à préférer remonter quotidiennement les mouvements même ceux à longue réserve de marche. Je pense qu'il aurait été préférable d'avoir un véritable affichage des jours de la semaine indépendant et loger une seconde aiguille dans ce sous-cadran.


En revanche, le boîtier m'a convaincu avec de belles proportions, des cornes très incurvées contribuant au confort au porter et le léger effet de style sur la carrure droite qui esquisse une sorte de protège couronne donnant une touche de caractère à l'ensemble. 

Dans un tel contexte, le mouvement se doit d'être à la hauteur des attentes que suscite la marque. Le mouvement exclusif qui équipe les différentes montres Quai des Bergues fut développé par Chronode ce qui est un gage de sérieux et de fiabilité. L'inspiration de la montre de poche 3430 se retrouve dans son architecture avec les deux rochets ouverts et le rendu symétrique dans la zone proche de la couronne. J'apprécie aussi la finition sablée des ponts, la qualité des anglages et la forme des ponts qui avec beaucoup d'intelligence évite quelques difficultés (pas d'angle rentrants) tout en offrant un aspect plutôt valorisant. J'aurais en revanche aimé plus d'ambition dans le traitement de l'organe réglant pour être plus fidèle à la montre de proche. Le rendu général est donc soigné, joliment fait mais j'aurais attendu un peu plus d'audace. Les performances sont sans surprise, avec une fréquence de 3hz et la fameuse réserve de marche  promise côté cadran de 7 jours. Le diamètre propre du mouvement de 32mm est suffisant important pour ne pas donner l'impression d'être perdu dans le boîtier et c'est un bon point.


La sensation au porter de la version en or rose de la Quai des Bergues est très agréable. La montre se positionne correctement sur le poignet et la finition du cadran en émail, avec les effets de profondeur des deux sous-cadrans, confirme son élégance et son raffinement. J'ai en revanche été moins séduit par la version en titane ou en acier. Leurs poids plus légers et leur styles plus contemporains m'ont semblé  moins convaincant. J'ai nettement préféré les versions en or qui me semblent mieux correspondre à l'esprit recherché. En revanche, la décision de compléter la gamme avec des montres sans métaux précieux et donc plus abordables est judicieuse.

Je touche ici une des forces du lancement de Czapek: rien n'a été laissé au hasard et tout a été bien étudié jusqu'au plan de financement. Car chose rare pour une marque de ce niveau de prix, Czapek offre la possibilité de devenir actionnaire de la société et de profiter de certains avantages comme par exemple l'acquisition de montres à prix préférentiels ou, pour ceux qui sont possèdent au moins 50.000 CHF de capital, de faire partie du conseil consultatif de la société.

Les personnes séduites par l'offre de Czapek et souhaitant participer au développement d'une nouvelle société horlogère ont la possibilité de rentrer dans le capital selon leurs moyens grâce à plusieurs formules qui varient en fonction du nombre d'actions détenues. Pour convaincre les investisseurs, Czapek propose une présentation de son business plan et de sa stratégie sur son site. Je recommande vivement la lecture de ce document, ne serait-ce que pour avoir une idée de ce qu'est une stratégie de marque. Dans ce contexte, Czapek se montre transparent à la fois sur ses fournisseurs et sur les prochaines étapes. Si je loue cette transparence, l'ambition de la marque pour les prochaines années m'a semblé très optimiste et peut-être même en décalage avec le marché alors que l'offre initiale, celle d'aujourd'hui m'apparaît mieux adaptée. En effet, une montre à 250.000 CHF est évoquée à l'horizon 2018 dans une gamme par la suite allant de 10.000 à 500.000 CHF. Je persiste à penser qu'à moins de s'appeler Jaeger-Lecoultre ou une autre marque généraliste très établie, les grands écarts de prix au sein d'un même catalogue sont extrêmement difficile à gérer. De plus, la clientèle des montres à 6 chiffres recherche plus que jamais la sécurité et la pérennité et les nouvelles marques suscitent toujours des interrogations à ce niveau.


Czapek a selon moi intérêt à rester dans la lignée du lancement de la collection Quai des Bergues qui est intelligemment faite, séduisante et raisonnablement tarifée. L'enjeu immédiat pour Czapek consiste à poursuivre la constitution de son capital via l'actionnariat direct ou la plateforme Raizers et à lancer sa production. Une fois cette étape franchie, il sera temps de penser aux développements futurs qui devront nécessairement intégrer les paramètres du marché. Car même si un business plan est bien fait, il n'en demeure pas moins que la réussite ne viendra que si les clients sont séduits. Dans un marché extrêmement concurrentiel, la tâche d'un nouvel acteur n'est jamais simple. La question est de savoir si Czapek apporte suffisamment de nouveautés pour se distinguer. C'est peut-être dans ce point précis que se situe la faiblesse de la stratégie: la collection Quai des Bergues n'est peut-être pas assez en rupture par rapport à l'offre du marché malgré ses qualités incontestables.

Merci à l'équipe Czapek pour son accueil lors du SalonQP.

Les plus:
+ une collection complète comprenant une entrée de gamme en acier
+ une présentation soignée et une esthétique séduisante
+ un mouvement exclusif convaincant
+ la finition du cadran en émail

Les moins:
- un sous-cadran avec affichage des jours de la semaine qui en toute rigueur oblige à un remontage hebdomadaire le premier jour de la semaine
- une présentation de l'organe réglant manquant d'ambition par rapport à celui de la montre de poche