Lange & Söhne: Zeitwerk Handwerkskunst

Je ne vais pas faire durer le suspense inutilement: la Zeitwerk Handwerkskunst est une des plus belles Lange & Söhne contemporaines. Grâce à son approche décorative particulière, elle réussit à mettre en avant le talent des artisans qui ont travaillé à son embellissement avec minutie et maîtrise. Il ne s'agit cependant pas que d'une prouesse esthétique. L'extrême raffinement de la finition et le soin apporté aux plus infimes détails ont également une influence sur des aspects précis du mouvement L043.4 qui anime la Zeitwerk Handwerkskunst.


La Zeitwerk, plus encore que la Richard Lange Tourbillon Pour le Mérite qui fut l'objet d'un traitement similaire précédemment, est assurément la montre idéale pour accueillir la gravure tremblée du cadran. Elle propose en effet une grande surface autour du "time bridge" (la zone qui rassemble les différentes fonctions horaires (heures, minutes et secondes). Elle offre aussi un contexte favorable compte tenu de l'affichage alternatif du temps. Du fait de l'affichage digital des heures et des minutes, la gravure tremblée ne nuit nullement à la lecture du temps. Le contraste entre le gravure et le "time bridge" demeure même s'il n'est évidemment pas aussi marqué qu'avec la Zeitwerk en or gris. Du point de vue du contraste chromatique, la Zeitwerk Handwerkskunst se situe entre la Zeitwerk en or gris et celle en platine. Elle est bien entendu plus subtile que les autres versions grâce aux reflets de lumière que crée la gravure tremblée. La texture est vraiment unique en son genre, à la fois très fine et granulée. Elle s'apparente presque à une sorte de laine et le résultat est visuellement spectaculaire sans être baroque.

Pour obtenir une telle décoration, le graveur utilise un burin spécialement dédié à ce type de finition en effectuant des mouvements précis dans toutes les directions. Il opère une sorte de chorégraphie qui contrairement à ce que le cadran laisse supposer n'est nullement aléatoire. C'est au contraire un travail qui nécessite une très grande application afin que le rendu granulaire soit parfaitement homogène.


La gravure tremblée n'est pourtant pas le seul élément remarquable présent sur le cadran. Il y a un mot qui me vient immédiatement à l'esprit lorsque j'observe la Zeitwerk Handwerkskunst, c'est celui de relief. Je retrouve certes les effets de profondeur habituels de la Zeitwerk liés aux guichets du "time bridge". Mais la Zeitwerk Handwerkskunst va beaucoup plus loin. Toute la partie supérieure du cadran, dédiée à l'affichage de la réserve de marche et au nom  de la marque, donne l'opportunité au graveur d'exécuter un véritable travail non pas de gravure mais quasiment de sculpture. Les lettres, l'indicateur de réserve de marche et son contour apparaissent ainsi en relief pour nettement se détacher de la gravure tremblée sans qu'aucun effet de couleur ne soit rendu nécessaire. Cette partie supérieure du cadran est d'une rare beauté et témoigne du talent du graveur car chaque lettre, chaque caractère sont d'une rare finesse et parfaitement réalisés. Incontestablement, ces éléments en relief propulsent la Zeitwerk Handwerkskunst dans la dimension des montres d'exception car, au-delà de leur délicatesse et de leur élégance, ils sont esthétiquement en cohérence avec le contour sur-élevé du "time bridge" tout en sublimant la gravure tremblée.


Lange & Söhne ne pouvait pas se contenter de travailler uniquement le cadran. Le mouvement se devait également d'être présenté différemment pour distinguer encore plus nettement la Zeitwerk Handwerkskunst des autres Zeitwerk. La marge de manoeuvre semblait pourtant plus limitée compte tenu du côté éminemment spectaculaire du mouvement des Zeitwerk. Et pourtant, l'objectif est atteint grâce à des techniques décoratives similaires à celles appliquées sur le cadran. La Manufacture ne s'est pas arrêtée en si bon chemin car elle a poussé le souci du détail jusqu'à changer les matériaux de l'ancre et de la roue d'ancre.

En observant le mouvement L043.4 pour la première fois, plusieurs changements sautent aux yeux. Le plus évident est le remplacement des traditionnelles Côtes de Glashütte par une surface granuleuse qui donne un nouvel aspect au maillechort. Tous les caractères présents sur les ponts sont gravés à la main et le rendu est très différent de ce que nous observons habituellement chez Lange. C'est moins "parfait", moins de mots sont présents, les caractères sont plus grands et cela donne beaucoup de charme. Sur le barillet, le nom de la marque est de nouveau gravé en relief.



Puis, les ponts du balancier et de l'échappement se dévoilent. Ces deux ponts proposent une décoration similaire  avec une gravure tremblée comme base  parachevée par une finition particulière. Le pont du système de force constante est mis en valeur par une finition polie "noir" qui donne un éclat supplémentaire grâce aux détails qui captent la lumière. Tous ces ponts se détachent nettement de l'ensemble du mouvement et élargissent la palette des techniques décoratives mises à contribution. C'est bien là le point le plus important: Lange fait cohabiter plusieurs de ces techniques pour notre plus grand plaisir sans que l'ensemble ne soit surchargé ou ne devienne baroque. N'oublions pas que l'attrait principal du mouvement réside dans son architecture. Si une décoration trop démonstrative l'avait reléguée au second plan, cela aurait été fort dommage. Malgré la qualité supérieure de la finition, toute la complexité du mouvement et ses caractéristiques techniques demeurent bien perceptibles.

D'ailleurs, Lange & Söhne a profité de cette évolution du mouvement  pour fabriquer l'ancre et de la roue d'échappement  en or 18 carats. Le changement de matériau a pour objectif notamment de rendre hommage aux traditions horlogères de la Manufacture au XIXième siècle. Il améliore aussi la résistance aux champs magnétiques. Toujours dans la même logique de perfectionnement du mouvement, les palettes de l'ancre, légèrement incurvées, ont été serties pour réduire la friction avec la roue d'échappement. Je pense que le sertissage  a du sens, au-delà de la dimension précieuse qu'il donne, compte tenu de l'utilisation de l'or.



Finalement, cette approche esthétique, la mise en oeuvre des différentes techniques décoratives et les petits plus qui ont été apportés au mouvement auraient été bien inutiles si la magie n'avait pas opéré une fois la montre mise au poignet. La Zeitwerk Handwerkskunst est une montre au charme irrésistible qui séduit par la façon dont elle capte la lumière, par ses plus infimes détails, par la mise en scène qui existe autour de l'affichage. Elle propose des reflets que seule la gravure tremblée peut créer et plus d'une fois notre regard se pose sur les caractères en relief pour apprécier la perfection de leur ciselage. De plus, j'apprécie particulièrement les couleurs qu'elle propose, beaucoup plus discrètes et apaisantes que celles de la Richard Lange Tourbillon Pour le Mérite équivalente. La gravure tremblée du cadran en or gris se marie idéalement avec le boîtier en platine et le rendu du "time bridge".



Une Zeitwerk "classique" est déjà une montre fascinante. Son affichage digital qui saute parfaitement à la soixantième seconde apporte la preuve de l'intelligence et de la rigueur de la conception du mouvement. Lange & Söhne a profité de son expertise sur la force constante acquise lors du développement de la Lange 31 jours pour concevoir le mouvement de la Zeitwerk et répondre aux exigences de l'affichage, notamment en matière de consommation d'énergie. L'énergie requise et la stabilité du fonctionnement recherchée font d'ailleurs que la réserve de marche est limitée à 36 heures.

Lorsqu'une Zeitwerk est sublimée comme c'est le cas ici, la perfection n'est pas loin d'être atteinte. J'apprécie en tout cas toujours autant le volume de la montre avec son diamètre de 41,9mm et son épaisseur de 12,6mm. Compte tenu de son boîtier en platine et de l'utilisation des matériaux précieux, son poids se ressent fortement au poignet. Je considère que cela fait partie du plaisir. Le remontage nécessite toujours une petite période d'accoutumance du fait de la position de la couronne mais cette dernière se manipule bien. J'observe toujours sinon le léger décalage du guichet des unités des minutes, intervenant quelques secondes avant le saut, qui indique que le mouvement est en train d'armer le système de passage à la minute suivante. Enfin, s'il fallait un argument supplémentaire pour être convaincu, il suffit de retourner la montre et d'apprécier la beauté du mouvement qui, sans tomber dans le travers de l'ostentatoire, arrive à combiner diverses techniques décoratives pour nous offrir un spectacle d'une rare beauté.


Lange & Söhne  trouve avec la Zeitwerk Handwerkskunst une superbe représentante de son savoir-faire: nous connaissions déjà la maîtrise technique de la Manufacture, la montre nous propose de découvrir et d'apprécier une dimension moins connue, celle qui à travers les gestes et le talent des artisans donne une âme à la mécanique et un statut d'oeuvres d'art aux garde-temps.

La Zeitwerk Handwerkskunst est commercialisée dans une série limitée de 30 pièces uniquement disponibles au sein des boutiques Lange. Mais au moment où j'écris cet article, je doute fortement qu'il en reste encore une de disponible.

Merci à la Boutique Lange de Paris.

Les plus:
+ une finition superlative
+ la discrétion des couleurs
+ le charme de la décoration du mouvement
+ la Zeitwerk offre un cadre idéal pour un tel exercice

Les moins:
- la courte réserve de marche