Patek Philippe: 5123R

La caractéristique la plus étonnante chez Patek Philippe est sûrement le nombre élevé de références qui composent le catalogue pour une marque dont la production est estimée à 45.000 pièces par an. Prenons par exemple les montres simples à 2 ou 3 aiguilles: Patek Philippe nous propose un large éventail de possibilités qui s'élargit en 2012 avec la présentation de la 5123R.

En découvrant la Calatrava 5123R, j'ai eu un peu de mal à la concevoir comme une nouveauté de l'année. Car telle est la grande force de Patek Philippe: grâce aux constants rappels du passé, chaque nouvelle montre donne l'impression de n'avoir jamais quitté le catalogue. Il y a quelque chose d'extrêmement rassurant dans cette démarche qui répond parfaitement ainsi aux attentes d'une clientèle qui aime créer des liens entre les références d'hier et celles d'aujourd'hui. 

Du point de vue esthétique, la 5123R peut être considérée comme une réinterprétation de la Calatrava 2526: les aiguilles Dauphine, la minuterie, la forme des index, tout cela rappelle la pureté du cadran de cette illustre référence. Dans l'horlogerie, il est très compliqué de faire simple. Patek Philippe n'a cependant pas ce genre de problème puisque sa très riche histoire est une source inépuisable d'inspiration et la 2526 constitue la quintessence de la montre simple.

Le cadran opalin argenté (et non en émail malheureusement comme c'était souvent le cas pour la 2526) est d'une rare élégance, les aiguilles Dauphine dessinent le temps de façon raffinée au dessus des index appliqués en or qui apportent le nécessaire soupçon de volume. La trotteuse se fait très discrète, son secteur n'étant matérialisé que par le croisement de deux lignes perpendiculaires extrêmement fines. Cet effet de style, certes couramment vu dans le passé, n'est pas anodin ici et dénote une très grande habilité de la part des designers de Patek Philippe. Cette discrétion masque côté cadran le principal problème de la 5123R: la taille trop petite du mouvement pour le boîtier. Alors que ce défaut apparaît nettement sur la 5196 qui utilise le même calibre, il a tendance à s'effacer sur la 5123R alors que le boîtier de cette dernière est plus important (38mm vs 37mm pour la 5196).

Si la ressemblance avec la 2526 est manifeste du point de vue esthétique, ce n'est pas absolument pas le cas du point de vue mécanique. La 5123R est une montre à remontage manuel dans laquelle nous retrouvons le sempiternel 215PS. Ce mouvement est évidemment excellent, animant efficacement depuis plusieurs décennies de nombreux modèles. J'aime beaucoup sa présentation, sa découpe des ponts et ses performances somme toute très acceptables. Il propose le balancier Gyromax, une réserve de marche de 44 heures pour une fréquence de 4hz et tout cela, dans une taille très contenue. Si la finesse (2,55mm) est un atout dans le contexte d'une montre élégante, les 21,9mm de diamètre sont plus problématiques.  Pour bien comprendre la difficulté qui consiste à rendre le mouvement de la 5123R visible, il faut se rendre compte que le 215PS se retrouve naturellement dans des boîtiers de 31mm et  que Patek Philippe  a même été conduit à cacher par un fond plein la bague d'emboîtage de la 5196.

Tout le talent de Patek Philippe a consisté à créer une opportunité à partir de ce souci: le mouvement est trop petit? Qu'importe, adaptons le boîtier! Et c'est ainsi que la 5123R se retrouve avec un boîtier en or rose aux courbes étonnantes ce qui n'est pas évident de prime abord. Le diamètre du fond est considérablement réduit par rapport aux 38mm hors couronne côté cadran. Lorsque la montre est retournée, le taille du mouvement ne choque plus. En revanche, cette forme particulière peut surprendre. Les cornes côté cadran semblent ainsi  très courtes alors que leur taille réelle est loin d'être anecdotique.


Une fois la montre au poignet, ces considérations s'estompent puisque le charme du cadran agit et que l'élégance générale de la 5123R lui donne un certain pouvoir de séduction. Je la trouve à ce titre plus convaincante que la 5196. Mais j'ai aussi la conviction que Patek Philippe est arrivé au bout de la logique avec le 215PS. Alors que la concurrence a beaucoup agi en renouvelant leurs mouvements à remontage manuel (je pense notamment au 4400 de Vacheron ou aux L051.1 et L093.1 de Lange&Söhne) et à les adaptant au contexte des boîtiers d'aujourd'hui, Patek Philippe reste irrémédiablement scotché avec son 215PS. Il serait maintenant temps de lui trouver un digne successeur afin de pouvoir concevoir de nouveau  des montres simples à remontage manuel équilibrées tant côté cadran que côté ponts. Patek Philippe est tellement hors concours en matière de prestige, de pouvoir d'attraction qu'il ne faudrait pas que la Manufacture bascule dans la facilité. Or c'est un sentiment qui ne peut être écarté à l'analyse de cette 5123R.

Un grand merci à l'équipe Patek Philippe France.