Badollet: Ivresse

Une de mes coups de coeur de l'année 2011 fut Ari de Eva Leube, une montre qui proposait une vue spectaculaire sur son mouvement incurvé. Je ne m'attendais pas en 2012 à connaître une surprise similaire même si la pièce qui fut présentée par Badollet au cours de la Foire de Bâle 2012 est radicalement différente. J'aurais dû me douter qu'un projet d'envergure se tramait chez Badollet. En décembre dernier, pendant le Salon Belles Montres, j'avais en effet croisé Eric Giroud qui m'avait chaudement recommandé de prévoir la visite du stand Badollet à la Foire de Bâle. Connaissant sa créativité et sa capacité à secouer le cocotier, je ne pouvais qu'être intrigué et excité à l'idée d'en savoir plus.



Quelques mois plus tard, le voile est levé et Ivresse, car tel est son nom, s'est offerte aux regards des visiteurs. Et inutile de faire durer le suspens, je fus grandement séduit par sa beauté, sa cohérence, sa modernité intemporelle. Je place cette montre sur mon podium personnel de Bâle 2012.

Ivresse, c'est tout d'abord le résultat d'une démarche créatrice peu fréquente. Alors que très souvent, le designer doit se plier aux contraintes liées à la construction du mouvement, Eric Giroud s'est senti totalement libre dans la création lui permettant d'exprimer des idées qui lui sont chères: la pureté des lignes, la subtile simplicité, l'harmonie des couleurs, la sensualité des courbes. 



Nous parlons souvent du design classique comme étant le seul pouvant être réellement intemporel reléguant trop fréquemment l'originalité des créations contemporaines au rang des phénomènes éphémères. Et pourtant, à aucun instant avec Ivresse, nous n'avons un tel sentiment. Ivresse est résolument contemporaine et également capable de résister aux effets de mode:
  • de par sa taille d'abord: 53,8mm sur 30mm, la dimension est imposante. Cependant elle ne se ressent absolument pas grâce au bombé du boîtier en platine et la relative épaisseur de la lunette.
  • de par la couleur de son cadran brossé ensuite: d'un bleu profond, elle évoque plus un appareil high tech qu'une pièce mécanique traditionnelle.
  • de par l'approche minimaliste du cadran: Eric Giroud a supprimé tout détail superflu afin de se concentrer sur l'essentiel, la lisibilité et la pureté adaptant la démarche similaire à celle d'un Philip Glass en musique contemporaine. Point de trotteuse. Point de chiffres, seuls de très discrets traits et points en creux dessinent la minuterie du cadran. Point de nom de marque, le griffon est apposé sur le cadran tel un bouton. Le bombé du cadran ainsi que la façon dont le cercle de métal y est inséré donnent un bel effet de volume alors que peu d'éléments pouvaient à la base y contribuer. 
  • de par la sensualité de ses courbes enfin. Ivresse est, plus qu'une autre une montre tactile. Elle se caresse y compris lorsqu'elle est mise au poignet pour apprécier pleinement la fluidité de ses lignes. 
Ivresse, c'est ensuite l'expression d'un grand talent horloger, celui de David Candaux qui travailla précédemment chez Jaeger-Lecoultre. La contrepartie de l'originalité de  la démarche créatrice est que c'est au tour de l'horloger de subir un très grand nombre de contraintes, la plus délicate étant évidemment liée à la forme du boîtier. David Candaux a su relever le défi en construisant un mouvement ébouriffant à la fois complexe et d'une grande beauté, totalement cohérent avec le design de la montre.



La simplicité apparente d'Ivresse est trompeuse car en retournant la montre, nous découvrons un mouvement non seulement courbé mais à la forme inhabituelle qui presque pudiquement, met en scène un Tourbillon volant dont le pont dessine le symbole de l'infini. Le temps est évidemment infini mais le symbole en lui-même démontre que la notion de courbe se retrouve dans les moindres détails. 



Le tourbillon volant n'est pas le seul élément remarquable car tel un effet miroir, le rochet en bronze est visible sous le système de remontage à cliquets en acier. La difficulté d'un mouvement avec une telle forme est la transmission entre les éléments. C'est la raison pour laquelle il utilise des pignons spécifiques qui autorisent l'architecture incurvée. Ce mouvement, à la finition irréprochable (le pont du tourbillon et le système de remontage du barillet sont d'une très grande netteté), à la belle mise en scène, aux contrastes de couleurs mettant en valeur les deux parties clé est aussi performant car ayant une réserve de marche de 5 jours.



Mettre Ivresse au poignet est une expérience unique. Tout d'abord, l'absence de corne surprend et nous ne savons pas si le boîtier possède un godron ou une lunette. Le bracelet grâce à sa couleur et à sa parfaite intégration prolonge le cadran. Le confort d'Ivresse est idéal grâce à la courbure du boîtier et très vite la taille s'oublie. C'est peut-être là la plus grande réussite du design d'Eric Giroud: la montre se fond sur le poignet tel un bracelet...



Réussite technique et visuelle, Ivresse est incontestablement une des pièces remarquables et remarquées de la Foire de Bâle 2012, son prix de 180.000 CHF hors taxes n'ayant pas constitué un frein dans la prise de commande. Elle marque évidemment une étape importante pour le développement de Badollet qui y trouve un vecteur d'image fort. Mais plus que cela, Ivresse constitue pour moi une définition de ce que doivent être les canons esthétiques des montres contemporaines en inscrivant l'originalité dans la pérennité grâce à un mélange subtil d'audace et de pureté.

Enfin, notons qu'Ivresse a également son pendant féminin, lui aussi en courbes... mais qui effectuent  une rotation complète autour du poignet puisqu'il s'agit d'un bracelet en or gris de 18 carats composé de 40 bandes serties  de diamants et de saphirs créant un majestueux arc en ciel de couleurs.


Un grand merci à l'équipe Badollet, à Philippe Dubois et à Eric Giroud pour leur accueil.